La nature diphasique microscopique dans la dynamique du sang.
L'ordre et la forme du sang total à l'échelle microscopique peuvent s'évaluer en analysant la diffraction de lasers de différentes longueurs d'ondes ( notamment Oliver Greffier, Alexandre de Tilly et Jean-Paul Decruppe, Université de Lorraine Institut de Chimie Physique & Matériaux (ICPM) Laboratoire de Chimie Physique (LCP-A2MC), résultats publiés en 2015 (ISB-ISCH Séoul)). On observe l'expulsion des globules rouges dans une cellule rotative cone-plan d'Anton Paar grâce au light scattering. La concentration de globules dans la cellule augmente dans les zones de vitesses les plus élevées et le phénomène est accru par la vitesse de rotation.
A l'échelle microscopique, nous pouvons voir au microscope la nature diphasique locale du sang ainsi que la répartition hétérogène des globules rouges dans diverses géométries avec des mesures de µPIV à haute fréquence d'acquisition ( Alexandre de Tilly, Hervé Willaime (ESPCI), Viriato Semiao et Carlos Completo (IST Lisbonne), (résultats publiés au symposium de microfluidique de Toulouse en 2010) :
Différentes expériences avec des fluides de similitude (xanthan) du sang au sens de Couette ont montré que ce sont les globules rouges, et non la viscosité, qui altèrent la forme de l'écoulement. On voit que le tourbillon apparaît pour le sang de lapin mais pas pour le fluide de similitude, et le tourbillon apparaît bien pour l'eau :
On voit donc que la viscosité et les globules rouges ne peuvent faire état du même paradigme dans l'écoulement, la viscosité étant un paramètre microscopique.
Comme le montrent ces complexes de globules au repos (Fahraeus, 1929), la composition locale microscopique du sang est hétérogène : complexes de globules rouges dans le plasma.
Fahraeus a montré qu'en cas d'inflammation, les agrégats, plus gros, circulent au centre des vaisseaux, laissant le plasma plus fluide près des parois (à droite). La séparation est plus ou moins nette entre le plasma et les globules rouges.
Thurston (1975) a modélisé l'épaisseur de la couche limite laminaire t entre la paroi et l'écoulement bouchon p.
Notamment, plus t est petite et plus la friction visqueuse, de viscosité ηs dépendant de la viscosité de la couche limite ηbz à la paroi, est amplifiée:
Le comportement du sang dans le modèle pour fluide continu de Couette et Poiseuille
Deux techniques, de Poiseuille et de Couette, ont été inventées pour des fluides continus, des solutions donc a priori sans particules ou corpuscules. Le modèle de Couette implique une (parfaite) égale répartition des composants, et une continuité rectiligne du shear rate entre les deux cylindres ou les deux plans parallèles (en rouge). La loi de Poiseuille est double : (1) la forme parabolique du profil de vitesse mais ce profil n'est jamais obtenu pour le sang puisque l'on observe plutôt le profil de Thurston, et, (2) la relation entre le débit et la chute de pression par friction obtenue pour des diamètres supérieurs à 300µm (Fahraeus, 1929). La loi (2) montre que le coefficient de perte de charge visqueuse est proportionnel à la puissance -4 du diamètre, proportionnel à la viscosité du liquide, et proportionnel à la longueur du vaisseau. Lorsque l'on met du sang dans une cellule de Couette, on obtient une courbe de viscosité rhéofluidissante (courbe de droite).
Transposable ?
Normalement la viscosité d'un fluide continu et homogène est la même dans tout type d'écoulement ou de vaisseau (Poiseuille ou Couette). Mais le sang ou une suspension sont discontinus et les résultats montrent des disparités :
Toutes les suspensions, pratiquement, ne se comportent jamais de manière continue dans une cellule de Couette ou un écoulement de Poiseuille, en effet, on observe une séparation macroscospique :
Dbouk, T., Lemaire, E., Lobry, L., & Moukalled, F. (2013).
Shear-induced particle migration: Predictions from experimental
evaluation of the particle stress tensor. Journal of Non-Newtonian
Fluid Mechanics, 198, 78-95.
Ahnert, T., Münch, A., Niethammer, B., & Wagner, B. (2018).
Stability of concentrated suspensions under Couette and
Poiseuille flow. Journal of Engineering Mathematics, 111, 51-77.
Quelques exemples sur la séparation macroscopique du sang
La sédimentation est l'exemple majeur de la séparation macroscopique, elle peut accélérer par centrifugation. A ce sujet, la vitesse de sédimentation est un indicateur d'agrégation et d'inflammation.
Des expérimentations montrent que les suspensions se séparent différemment selon la géométrie (Rhéophysique des fluides complexes : écoulement et blocage de suspensions, Abdoulaye Fall, 2008), (The viscosity and viscoelasticity of blood in small diameter tubes, George B. Thurston, 1975) :
Allbutt (1915) : "experimenters do not hesitate to bring these methods into serious doubt ; they are far from sure that Poiseuille's law, which is true for solutions, holds also for suspensions, and especially for suspensions in which the floating particles are, relatively speaking, large, and also various in size. May not such corpuscles transform the mode of motion and of friction from cylinder within cylinder into that of one cylinder of the same rate in all parts of the transverse section?"
Comment estimer le "wall shear rate" WSR in vivo ?
Le WSR se définit par la dérivée de la vitesse dV/dy à la paroi (V est la vitesse, y est l'ordonnée).
Reneman, R. S., Arts, T., & Hoeks, A. P. (2006). Wall shear stress–an important determinant of endothelial cell function and structure–in the arterial system in vivo: discrepancies with theory. Journal of vascular research, 43(3), 251-269.
Dans des écoulements sanguins dans des tubes transparents en PDMS (diamètre 310µm), grâce à la µPIV, le profil de vitesse du SANG (sang de chien) est mesuré : le profil près des parois est semblable à un début de parabole (sheath flow) et devient plat au centre (plug flow), on ne voit pas la parabole de Poiseuille.
Le shear rate à la paroi confirme le profil plat au centre et parabolique sur les côtés :
Comment estimer le "wall shear stress" WSS dans un vaisseau ou in vivo ?
Par définition, WSS = ηsf WSR où ηsf est la viscosité du sang en proche paroi, dans le sheath flow (sf). Comme le sang dans un vaisseau se sépare entre le plasma et les globules rouges, de manière plus ou moins nette, la viscosité en proche paroi n'est pas nécessairement celle du plasma pur et il est difficile de mesurer ηsf exactement car le plasma comporte des globules rouges en quantité variable.
D'un point de vue physique, WSS entraîne une perte de pression dP=P2-P1 dans un vaisseau de rayon R. Il est possible de munir un vaisseau de capteurs de pression P1 et P2.
Si la viscosité apparente du sang total νt est constante comme dans les vaisseaux de diamètres supérieurs à 300µm :
On peut donc mesurer WSS en mesurant la perte de pression dP le long du vaisseau. dPxS = WSSxPexL. La pression dans la section du vaisseau, pour des raisons de quantité de mouvement, est homogène. S est la surface de la section du vaisseau, Pe est le périmètre mouillé du vaisseau, et L en est la longueur.
Viscosité locale du sang dans un vaisseau et in vivo
En mesurant dP, on peut en déduire WSS et, par une mesure de WSR grâce au profil de vitesse V(y), on peut en déduire la viscosité locale dans l'écoulement
ηsf(y) = WSS / WSR(y)
On peut comparer les courbes de viscosité d'un même échantillon de sang en fonction du shear rate dans le vaisseau (local) et dans une cellule de Couette. Effectivement la viscosité du sang est plus faible quand le taux de cisaillement augmente près des parois mais la viscosité locale vers le centre du vaisseau est beaucoup plus élevée à bas shear rate que dans la cellule de Couette.
La viscosité de Couette est très différente de celle dans un vaisseau ou un tube lorsque le taux de cisaillement varie de 0 à 50 [SI] (unités normalisées). La différence est expliquée dans une publication ayant observé la marginalisation des globules rouges dans les cellules de Couette “Reduction in viscosity is a result of RBCs being excluded from the working portion of the bearing—that is, the gap between bearing faces” (Leslie et al, 2013). Leslie, L. J., Marshall, L. J., Devitt, A., Hilton, A., & Tansley, G. D. (2013). Cell Exclusion in Couette Flow: Evaluation Through Flow Visualization and Mechanical Forces. Artificial Organs, 37(3), 267-275
Les mesures de µPIV permettent de mesurer la taille de l'écoulement pariétal parabolique contenant des globules rouges (vert), de la couche purement plasmatique (jaune) qui est la "cell free layer", et la loi (2) de Poiseuille (bleu) à différents débits dans un vaisseau de 310µm de diamètre.
Complexité : Le sang a bien un écoulement
bouchon, un shear rate qui n'est pas continu,
mais il peut suivre une loi (2) de Poiseuille au sens
du rapport pression sur débit sans pour autant
avoir un véritable profil de vitesse parabolique
(loi (1) de Poiseuille).